La commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla a rendu, mercredi 20 février, un rapport accablant de 120 pages. Les sénateurs mettent en cause des responsables de l’Élysée.
L’affaire Benalla est bien une affaire d’État. C’est ce que met en évidence le rapport d’enquête des membres de la commission des lois du Sénat, rendu public mercredi 20 février. Les sénateurs ont annoncé leur volonté de transmettre au bureau du Sénat leurs conclusions, afin que celui-ci saisisse le procureur de la République de Paris pour plusieurs parjures commis devant leur commission. Ils mettent également en cause le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, Patrick Strzoda, le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, et le patron du Groupe de sécurité de la présidence de la République, le général Lionel Lavergne.
Sept mois de travail, 48 personnes auditionnées, 30 informations complémentaires obtenues auprès de l’Élysée et des ministères concernés, 500 pages de documents remis et des conclusions accablantes… ce rapport sénatorial est un événement politique.
Alexandre Benalla devant la commission d’enquête du Sénat, le 19 septembre 2018. © Reuters
Pour Philippe Bas, le président de la commission, l’objectif était triple : « remplir la mission fondamentale du Parlement de contrôle » en faisant « œuvre de vérité » ; « rendre l’État plus transparent » ; et « proposer des mesures pour éviter le renouvellement des désordres constatés ». Et ce, « en toute indépendance », a-t-il précisé. Réputé plus libre et non aligné que l’Assemblée nationale, le Sénat a en effet rempli son rôle de contre-pouvoir en mettant directement en cause le sommet de l’État et ses défaillances, graves et nombreuses.
« Nous avons enquêté sur le fonctionnement de l’État et non pas sur les agissements de M. Benalla, c’est très différent », a souligné le sénateur LR lors de la conférence de presse. « Nous avons réussi à collecter assez d’éléments pour estimer que la sécurité du président de la République a été affectée », a indiqué Philippe Bas, annonçant que le rapport préconisait de « saisir le procureur de Paris pour faux témoignages de M. Benalla et pour les contradictions entre les premières déclarations des collaborateurs du président ».« Dès lors qu’il est apparu que M. Benalla disposait de protections, tout s’est mis à dysfonctionner, depuis l’Élysée jusqu’aux ministères, la préfecture de police, et même dans les ambassades, où il y a eu des comportements étranges, a complété à ses côtés le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, corapporteur de la commission d’enquête. Et peut-être même jusqu’à Matignon. Comme si un seul être, par son autorité supposée, se mettait à dysfonctionner par cercles successifs », a-t-il ajouté.
La sénatrice (LR) Muriel Jourda a quant à elle insisté sur « l’incompréhensible indulgence de la hiérarchie d’Alexandre Benalla ».
- Soupçons de parjures et contradictions du premier cercle d’Emmanuel Macron
Après les enquêtes de Mediapart et la diffusion d’enregistrements accablants, les parjures d’Alexandre Benalla et de Vincent Crase devant le Sénat n’étaient plus à démontrer – parjures qui, rappelons-le, sont passibles de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Il ne faisait donc guère de doute que la commission recommanderait au bureau du Sénat une saisine du procureur de la République. Et en effet, les élus n’ont pu que constater qu’Alexandre Benalla « a fait des réponses mensongères sur plusieurs points : les motifs de sa demande de permis de port d’arme à la préfecture de police, la restitution des passeports diplomatiques qui lui avaient été attribués et sa participation à un contrat de protection conclu entre la société Mars et les représentants d’un chef d’entreprise russe ».
Dès lors, l’interrogation portait surtout sur la façon dont le Sénat allait considérer les déclarations qui lui avaient été faites par des membres de l’Élysée. Résultat : le Sénat a tapé fort. Très fort. « Si nous voulons faire émerger la vérité et qu’on nous ment, alors le Parlement ne peut pas remplir son rôle au nom des Français et c’est un droit des Français qui est ainsi bafoué », a expliqué Philippe Bas.
Sibeth Ndiaye, la conseillère communication de l’Élysée, Alexandre Benalla et Emmanuel Macron, le 12 avril 2018. © Reuters
La commission, soucieuse de « faire mieux respecter, à l’avenir, les prérogatives du Parlement », a donc mis en cause « les plus proches collaborateurs du chef de l’État et en particulier M. Strzoda, directeur de cabinet », pour la « présentation qu’ils ont faite des missions exercées par M. Benalla contredite par les éléments réunis, qui témoignent d’une implication réelle de l’intéressé dans la mise en œuvre de la sécurité du président de la République ».
Selon Philippe Bas, « tout le monde sait » à présent qu’Alexis Kohler, Patrick Strzoda et le général Lionel Lavergne ont retenu une « part significative de la vérité ». En somme : le sommet de l’État a menti par omission, a minima. Le rapporteur Jean-Pierre Sueur a ainsi expliqué : « Contrairement à ce qui a été dit sous serment devant notre commission, une mission spécifique de coordination des services de sécurité du président de la République lui a été confiée. Il l’a exercée seul, sous contrôle du directeur de cabinet. »
Dans le rapport, les sénateurs regrettent « les imprécisions, les divergences et les oublis dans les témoignages des proches collaborateurs du chef de l’État », qui ont été proférés sous serment.
Non, Alexandre Benalla n’avait pas qu’une fonction « logistique », telle que l’avaient décrite devant la commission ses supérieurs hiérarchiques François-Xavier Lauch, chef de cabinet du président de la République, et Patrick Strzoda, directeur de cabinet. En témoignent ses projets de refonte du dispositif de sécurité du président (voir la page 2 de cet article).
Patrick Strzoda avait aussi voulu laisser croire qu’Alexandre Benalla avait disposé d’un badge d’accès à l’Assemblée nationale afin de nouer des contacts avec les élus en vue de futurs déplacements. Une explication contredite par le principal intéressé, qui a expliqué devant la même commission que ce badge n’était qu’un « caprice », lui permettant d’accéder à la salle de gym de l’Assemblée nationale…
Et que dire des explications livrées sur l’usage de passeports diplomatiques après qu’Alexandre Benalla a quitté l’Élysée ? Le rapport montre que les services de l’État n’ont demandé la restitution des fameux passeports qu’après les révélations de Mediapart, justifiant ces retards par des soucis d’interface informatique.
Une explication qui a paru bien improbable aux élus. Ceux-ci ont remarqué que les difficultés informatiques avaient disparu dès lors que les faits avaient été révélés par la presse.
Autre contradiction : Patrick Strzoda a déclaré à la commission, le 25 juillet, qu’Alexandre Benalla « ne portait jamais d’arme en déplacement public ». Même tonalité du côté du général Lionel Lavergne, le 30 juillet : « Je n’ai jamais vu M. Benalla avec une arme dans les déplacements du président de la République. » Alexandre Benalla lui-même les a contredits, en déclarant en avoir porté une à plusieurs reprises.
Enfin, le mensonge, remarque les sénateurs, avait déjà commencé sur les événements du 1er Mai. Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée, a assuré à la commission qu’il n’avait été informé des violences que le 2 mai. Alexandre Benalla soutient au contraire que dès le 1er mai au soir, Alexis Kohler avait été informé par messagerie cryptée.
- Les contrats russes : une « fragilisation de la sécurité présidentielle et des intérêts nationaux »
Pour Jean-Pierre Sueur, « le manque de précaution de la présidence de la République dans la prévention des conflits d’intérêts de certains de ses collaborateurs s’est confirmé avec l’affaire des contrats russes ». Une « affaire gigogne », a estimé le sénateur.
Mediapart avait révélé qu’Alexandre Benalla avait été l’architecte, alors qu’il travaillait à l’Élysée, d’un contrat sécuritaire avec Iskander Makhmudov, un oligarque proche de Poutine, soupçonné de liens mafieux par plusieurs magistrats européens. L’ancien conseiller de Macron a également fait affaire, en décembre dernier, après son départ de l’Élysée, avec un second oligarque russe. Au total, ces contrats s’élèvent à 2,2 millions d’euros, et une partie des fonds a été perçue par Benalla au Maroc.
Alexandre Benalla et les oligarques Iskander Makhmudov et Farkhad Akhmedov. © DR
D’une part, le rapport sénatorial estime que les informations publiées par Mediapart, notamment les enregistrements dévoilés le 31 janvier, puis les déclarations publiques du président de Velours, la société de sécurité sous-traitante du contrat russe, « laissent à penser que Alexandre Benalla et Vincent Crase se sont rendus coupables de faux témoignages » (lire notre article énumérant les mensonges sous serment du tandem Benalla-Crase).
D’autre part, le rapport pointe à nouveau d’« importants dysfonctionnements au plus haut de l’État ». Il estime que l’Élysée n’a pas pris toutes les mesures « pour s’assurer que les intérêts privés de certains de ces collaborateurs n’interféreraient pas avec l’exercice de leurs fonctions et ne compromettraient pas leur indépendance ». En particulier, Alexandre Benalla, comme sept autres collaborateurs de l’Élysée, n’a pas rempli de déclaration d’intérêts ni de déclaration patrimoniale, au mépris de la loi sur la transparence de la vie publique.
Il s’inquiète en particulier d’une « fragilisation de la sécurité présidentielle et des intérêts nationaux ». « Il ne fait nul doute que les relations entretenues avec un oligarque russe par un collaborateur de l’Élysée directement impliqué dans la sécurité de la présidence de la République, seraient de nature, en raison de la dépendance financière qu’elles impliquent, à affecter la sécurité du chef de l’État, et, au-delà, les intérêts de notre pays », a insisté Jean-Pierre Sueur.
- Les fonctions troubles d’Alexandre Benalla à l’Élysée
Malgré les dizaines d’auditions, les sénateurs ne sont pas parvenus à répondre à cette question, aussi simple que cruciale dans la compréhension du dossier : quelles étaient les fonctions exactes d’Alexandre Benalla auprès d’Emmanuel Macron ?
Ce mercredi, lors de la remise du rapport d’enquête, Philippe Bas a prolongé cette interrogation sur « la place tout à fait excessive prise par un collaborateur du président de la République, de rang pourtant modeste et dénué d’expérience de l’État, dans la mise en œuvre de la sécurité du chef de l’État ».
Alexandre Benalla et Emmanuel Macron, le 24 février 2018. © Reuters
Pendant plusieurs semaines, les représentants de l’Élysée ont expliqué, y compris sous serment devant la commission sénatoriale, qu’Alexandre Benalla s’occupait seulement du protocole et des déplacements, mais pas des missions de sécurité du président, missions normalement dévolues au Groupement de sécurité de la présidence de la République (GSPR, pour les déplacements) et au commandement militaire (pour la sécurité du palais de l’Élysée et des résidences présidentielles).
Ces explications n’ont pas manqué d’intriguer les parlementaires. D’abord parce qu’Alexandre Benalla n’avait pour toute légitimité que d’avoir été le garde du corps d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle. C’est d’ailleurs la raison même de son recrutement. Dès lors, pourquoi avoir embauché un spécialiste de la sécurité rapprochée – c’est son unique expérience professionnelle – pour s’occuper de tout, sauf de sécurité, avait demandé, le 12 septembre, la sénatrice Catherine Troendlé (LR).
Ce jour-là, François-Xavier Lauch, chef de cabinet d’Emmanuel Macron, avait alors répondu qu’il avait voulu faire « marcher la méritocratie [sic] » pour susciter au sein de son service « des approches nouvelles [re-sic] dans la préparation des déplacements ». Le chef de cabinet avait ensuite indiqué ne pas savoir pourquoi, s’il ne s’occupait de sécurité, Alexandre Benalla a bénéficié d’un port d’armes à l’automne 2017, à l’initiative du directeur de cabinet Patrick Strzoda après deux refus du ministre de l’intérieur.
Le même jour, le général Bio-Farina, patron du commandement militaire de l’Élysée, avait longuement expliqué devant les sénateurs qu’Alexandre Benalla était à l’« interface » des deux services chargés de la sécurité d’Emmanuel Macron, le GSPR et le commandement militaire. Malgré plusieurs relances, il n’était pourtant pas parvenu à définir cette notion d’« interface », mais avait tenu à rappeler que le jeune collaborateur du président « ne commandait pas de service et n’avait personne sous ses ordres ». Patrick Strzoda avait tenu la même ligne de défense, minimisant la place du collaborateur.
Pourquoi Alexandre Benalla a-t-il dès lors participé à la réflexion sur la réforme du dispositif de sécurité, qui prévoyait un affaiblissement du rôle du GSPR, sous tutelle du ministère de l’intérieur ? Devant les sénateurs, François-Xavier Lauch avait tenté de minimiser l’impact du projet en le réduisant à des discussions pour trouver des « synergies » entre le GSPR et le commandement militaire. Selon lui, Alexandre Benalla n’était d’ailleurs pas au cœur de cette réflexion. « Il y a actuellement deux services. Ils ont à leur tête deux généraux. Je ne peux pas imaginer que deux généraux laissent un chargé de mission commander à leur place », avait indiqué le chef de cabinet.
Cette explication n’a pas franchement convaincu les sénateurs. « Alexandre Benalla s’était attribué un rôle actif dans l’organisation et la gestion de la sécurité de la présidence de la République sans que sa hiérarchie y ait fait obstacle », estime le rapport, qui prône l’abandon pur et simple de la réforme du dispositif de sécurité du président.
Alexandre Benalla entouré par le président de la commission, Philippe Bas, et le corapporteur Jean-Pierre Sueur, au Sénat, le 21 janvier. © Reuters
- Les « fausses sanctions » après les violences du 1er Mai
Comme Jean-Pierre Sueur l’a rappelé lors de la présentation du rapport, de l’affaire Benalla découle une série de défaillances inédite au plus haut sommet de l’État, jusqu’aux épisodes récents des passeports diplomatiques ou du téléphone chiffré Teorem, que Benalla a conservés plusieurs mois après son départ officiel de la présidence.
Les problèmes se sont matérialisés dès l’épisode des violences du 1er Mai, à l’issue duquel Alexandre Benalla a, selon les dires de la présidence de la République, été sanctionné. Or la « mise à pied » annoncée du collaborateur d’Emmanuel Macron s’est faite sans retenue de salaire, relèvent les sénateurs. Autre curiosité en ce qui concerne la « rétrogradation » dont Alexandre Benalla est censé avoir fait l’objet : la commission note que cette décision n’a été que « provisoire », « compensée » et « même assortie d’importantes exceptions », comme la participation à certains événements du président.
Le collaborateur prétendument sanctionné a également « continué à participer à la réflexion sur la mise en place de la future direction de la sécurité de la présidence de la République », s’étonne la commission d’enquête. De surcroît, il a pu conserver des « moyens inchangés voire renforcés » (véhicule, pas moins de quatre passeports puis un logement de fonction en juin).
La gestion des fameux passeports diplomatiques, qu’Alexandre Benalla a continué à utiliser à une vingtaine de reprises jusqu’aux révélations de Mediapart le 27 décembre, confirme aux yeux de la commission sénatoriale que « les diligences nécessaires pour garantir la pleine application de la sanction de licenciement d’Alexandre Benalla » n’ont tout simplement « pas été accomplies ».
« Ce n’est qu’en novembre que la première demande d’invalidation » des passeports a été transmise par le Quai d’Orsay au ministère de l’intérieur, rappellent les sénateurs, tout en soulignant que les services diplomatiques se sont alors vu « opposer des impossibilités techniques et des problèmes informatiques ». Pourtant, « ces difficultés ont rapidement et opportunément pu être levées » juste après les révélations de Mediapart, s’étonne la commission d’enquête.
Les sénateurs ont annoncé qu’ils allaient transmettre, ce mercredi dans l’après-midi, leur rapport d’enquête à l’Elysée.
Merci BCP d'avoir mis cet article, je ne suis pas abonnée a mediapart.
RépondreSupprimerJ’espère pour UNE fois, justice sera fait même si nous savons tous la justice n'existe plus nulle part. Punaise je rêve que Macron sera éjectée de sa trône avec la veille !
Meme si ca arrive, qui prendra sa place? ILS SONT TOUS LES MÊMES !