jeudi 2 juin 2022

Des décharges d'armes chimiques au large des côtes françaises : une "bombe à retardement"




« Du côté de Groix, beaucoup d’obus ont été immergés. À la truie d’Arradon, on trouve encore des munitions de mitraillettes dans la vase. » Claude Dréau, plongeur du Club subaquatique des vénètes de Vannes, croise « couramment » des armes lors de ses sorties en plongée dans les eaux du Morbihan.

En France, 62 décharges maritimes d’armes ont été recensées le long de la Manche et des côtes Atlantique. Et ce n’est qu’une estimation.

Bertrand Sciboz, directeur du Ceres (Centre de recherches sous-marines), basé à Montfarville (Manche), a « été confronté à un nombre considérable de munitions, toutes signalées à la gendarmerie puis à la préfecture maritime qui fait intervenir les plongeurs-démineurs pour déminer et contre-miner ».

Selon lui, les armes présentes dans la mer proviennent essentiellement des épaves, se disséminant au fil du temps. Le directeur du Ceres a en tête un chaland « volontairement coulé par l’Armée » entre Saint-Vaast-la-Hougue et Barfleur, « alors qu’il était chargé de munitions allemandes après la guerre ». Mais Bertrand Sciboz ne l’a jamais vu : « À l’heure qu’il est, il doit être désagrégé. »

Premières immersions dans les années 1920


Ces munitions chimiques ou conventionnelles enfouies sous la surface des mers représentent « une bombe à retardement », selon l’Organisation non gouvernementale (ONG) de défense des océans, Sea Shepherd. C’est pour elle une « catastrophe sans précédent ».

À l’issue des deux Guerres mondiales, les belligérants se sont servis de la mer comme d’une poubelle pour se débarrasser d’armes hautement toxiques. « Il y a eu plusieurs centres de dépôts en France après la Première Guerre mondiale. Il y avait des quantités hallucinantes d’obus qui se retrouvaient dans des granges, avec des fuites, des accidents, des explosions. Dès 1917-1918, il a fallu prendre des mesures d’urgence. La meilleure solution a été trouvée de les noyer en mer », explique Jacques Lœuille, réalisateur du documentaire Menaces en mers du Nord.

Ils remplissaient des barges à fond plat qui s’ouvraient et ils coulaient le chargement ou bien, ils jetaient ces munitions par-dessus bord, ou alors, ils coulaient carrément les bateaux. Imaginez-vous, vous êtes capitaine de bateau, on vous dit que vous êtes plein à ras bord de munitions défaillantes, ultra-toxiques. Votre livre de navigation vous dit de tout jeter au-delà de telles coordonnées. Pour ne pas passer 20 heures en mer quand ils pouvaient le faire en quelques heures, la nuit, dès qu’ils ne voyaient plus la côte, ils jetaient.Jacques Loeuille,documentariste.

Les armes chimiques sont utilisées pour la première fois en 1915, lors de la Première Guerre mondiale. Il s’agissait du gaz chloré, sur la bataille d’Ypres, en Belgique.

En 1917, arrive le gaz moutarde. Il sème la terreur. « Le 11 novembre 1918, la guerre s’arrête, mais les usines continuent de fonctionner à plein régime pendant quelques semaines. Par ailleurs, on a des stocks gigantesques de munitions chimiques et au début des années 1920, on ne sait pas trop quoi en faire. C’est à ce moment-là, qu’on commence à se poser la question de les immerger. Ça a été une solution pragmatique à une époque où l’environnement tout le monde s’en fichait », explique Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste des armes chimiques.


L’immersion des armes de guerre a commencé en 1920 en Europe. (©Real productions)

Le gaz moutarde « est un vésicant qui a la particularité d’être extrêmement persistant et provoque des brûlures profondes de la peau et des muqueuses ».

Les agents neurotoxiques et de nombreux autres agents s'hydrolysent ou se décomposent et se dissolvent une fois qu'ils entrent en contact avec l'eau, et sont donc rendus inoffensifs dans un délai relativement court. Le gaz moutarde, lui, est insoluble dans l'eau. La plupart des blessures qui se produisent lorsque des pêcheurs entrent en contact avec des munitions chimiques rejetées en mer résultent de gaz moutarde. Olivier Lepick,spécialiste des armes chimiques.

L’ypérite a été « l’agent de choix de la plupart des programmes militaires chimiques dans l’entre-deux guerre, jusqu’à ce qu’on trouve les neurotoxiques », souligne Olivier Lepick. Cette découverte résulte d’un programme civil de l’entreprise Bayer : des scientifiques ont découvert en 1934, « une famille de neurotoxiques particulièrement diaboliques », parce qu’« en termes de toxicité ces agents sont mille fois plus toxiques que les agents utilisés pendant la Première Guerre mondiale », certifie le spécialiste.

Selon l’association environnementale Robin des bois, « 6 % des armes tirées pendant la Grande guerre étaient chimiques ».

En revanche, alors que les nazis disposaient d’un stock considérable, les armes chimiques n’ont pas été utilisées durant la Seconde Guerre mondiale. Après leur victoire, les Alliés ont décidé de faire comme en 1920 : tout déverser dans les mers et océans. Des navires entiers, chargés de munitions, sont sabordés, coulés. « Les Américains n’allaient pas ramener des déchets, donc ils ont rempli des navires de guerre et ils les ont coulés », indique le réalisateur Jacques Loeuille.

« Des produits faits pour détruire toute vie »

La crainte des scientifiques et associations est que « ces armes conventionnelles ou chimiques, rongées par la corrosion, [libèrent] dans l’eau des substances nocives telles que le plomb, mercure, gaz et liquides toxiques, nitrates ou phosphore » et « sans action de dépollution, des scientifiques prédisent un désastre environnemental », insiste Sea Shepherd.


La Convention du milieu marin Ospar a recensé 148 décharges dans le nord-est de l’océan Atlantique. 62 au large des côtes françaises. (©Enquêtes d’actu)

La Convention du milieu marin Ospar a recensé 148 décharges dans le nord-est de l’océan Atlantique. « Les parties contractantes disposent de chaînes d’alerte par lesquelles les pêcheurs et autres utilisateurs de la mer et du littoral peuvent aisément signaler à une autorité ou à un organisme compétent toutes les découvertes de munitions en mer ou sur la côte », précise le secrétariat de la convention Ospar.

Rien qu’en mer Baltique, Ospar estime qu’il y a environ 40 000 tonnes d’armes immergées. Selon Sea Shepherd, « 16 % de ces substances toxiques suffiraient à éliminer toute vie dans cette mer quasiment fermée ».

En mer du Nord, l’estimation porte sur 300 000 tonnes d’armes. Combien le long des côtes françaises ? Impossible à définir. « Je n’ai pas d’estimation, mais c’est sans doute du même ordre de grandeur pour la façade Atlantique et en Méditerranée. C’est considérable ! Ce problème est mis sous le paillasson et va finir par péter », prévient Charlotte Nithart de l’association environnementale Robin des bois qui bénéficie du statut d’observateur à la convention Ospar. Pour Charlotte Nithart, « plus on attend, plus ces munitions se disloquent et plus le problème est imminent : contaminations de la chaîne alimentaire, des sédiments, des eaux de baignade… »

Ce sont des produits faits pour détruire toute vie. Alors quand ces quantités industrielles sont mises dans des zones de pêche, ça ne peut qu’être très inquiétant.Jacques Loeuille,réalisateur du documentaire Menaces en mers du Nord.

Selon Charlotte Nithart, de Robin des bois, on ne pourra certainement jamais établir un « inventaire exhaustif » des zones d’immersion. De nouveaux sites sont découverts lors de recherches pour des projets économiques.

« C’est ce qui s’est passé en Baltique avec le projet Northstream [gazoducs reliant la Russie à l’Allemagne, NDLR], pour éviter que le pipeline passe à côté de ces zones. Il y a des recherches en France quand vous avez des dragages, des approfondissements et extensions de port, des usines éoliennes offshore, indique Charlotte Nithart. C’est pour ça, qu’au moment de port 2000 au Havre (Seine-Maritime), 2 000 munitions avaient été repérées. Après la guerre, beaucoup de munitions ont été jetées par-dessus la digue. Ils ne pensaient pas que 50 ans plus tard, il y aurait ce projet. »

En octobre 2020, le ministère de la Transition écologique estimait « que l’état de conservation des stocks connus [était] globalement moins dégradé que ce que l’on pouvait craindre », selon l’avis « d’experts ».

Il affirmait, devant le Sénat, que la France étudiait « la mise en place de travaux interministériels sur plusieurs années, visant d’une part, à disposer d’une cartographie précise des zones concernées et de la nature des munitions immergées et d’autre part, à recueillir des informations scientifiques fiables ». Ce même ministère n’a jamais répondu à nos questions.

Le « secret-défense » de la France

[...]

Source et suite: Enquêtes d'Actu

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